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Comment utiliser les standards en lean ?

Une autre façon d'industrialiser : des standards pour apprendre
par Régis Medina et Pierre Palliez

1. Comment se brûler les doigts avec les standards

L'expérience est familière mais toujours aussi agaçante. Après avoir attendu près d'une heure dans l'agence d'un opérateur télécom, l'agent nous informe que notre équipement est désormais opérationnel. De retour à la maison, il n'en est rien : l'équipement en question refuse de fonctionner. Une recherche rapide sur internet révèle qu'il nous reste encore à activer l'appareil, ce que l'agent avait omis de mentionner. Mais l'aventure n'est pas terminée ! La procédure d'activation automatique en ligne se solde par une erreur. De retour à l'agence, la personne à l'accueil refuse de s'intéresser au problème et insiste pour commander un nouvel équipement, avec quelques semaines d'attente supplémentaires. Après un long échange avec le service client il apparaît que l'agent initial n'avait pas correctement suivi la procédure de configuration.

2. Les schémas classiques du Command & Control

L’astuce du lean consiste à passer du “Command & Control” au “Orient & Support” : plutôt que d'écrire des procédures qui forcent les collaborateurs à faire les choses de telle ou telle façon, il s’agit d’aider chacun à renforcer son autonomie sans perdre de vue l'intention finale et les points clés issus de l’expérience. Cela suppose de penser différemment la notion de standard :

Un standard est ce qui permet à chacun de savoir s’il est dans une situation normale ou anormale.

De manière générale un bon standard capture trois éléments de manière concise et intuitive :

3. Les standards en lean

La directrice de projets sollicite les collaborateurs pour imaginer des façons différentes de s’y prendre. Les premières réponses sont des variantes des pratiques actuelles. Elle pousse la réflexion pour forcer à explorer des façons vraiment différentes d’aborder le sujet.

Au total, du CEO aux équipes de vente en passant par les porteurs de projet et l’équipe tech, des dizaines d’idées sont générées sans jugement, privilégiant la quantité plutôt que la qualité.

Parmi les idées proposées, l’une se dégage du lot comme vraiment nouvelle : co-écrire les campagnes avec les clients. C’est une révolution car le processus actuel a été conçu initialement sur la base d’une conviction forte : l’équipe doit s’investir au minimum dans la conception, d’une part pour que le porteur de projet s’implique le plus possible, et d’autre part pour réduire les coûts pour la startup.

Une seconde idée forte émerge : redécouper la documentation, aujourd’hui monolithique, en une suite d’instructions claires délivrées petit à petit.

Les 3 composants d’un standard
Les points clés de la meilleure pratique actuelle
Les erreurs classiques à éviter
Pourquoi c’est important

Capturer le savoir de la sorte permet d'encourager la réflexion et l'autonomie des collaborateurs plutôt que de développer leur passivité. C'est un cas de "Orient" car le standard pointe l'attention de la personne sur ce qui est important sans toutefois la contrôler. C'est aussi un cas de "Support" car le standard l'aide véritablement et lui permet de savoir sans ambiguïté qu'elle est en situation anormale et doit réagir et solliciter de l'aide.

Par exemple, un geste clef dans un restaurant est l'accueil du client. Comment capturer les points clefs d'un bon accueil ? L'intention est en premier lieu de donner une expérience positive au client. Cela repose par exemple sur trois points clés :

  • Le client se sent sincèrement bienvenu
  • L’habitué se sent reconnu
  • Le client est satisfait de la place à laquelle il est installé

Les erreurs classiques à éviter :

  • Être trop familier avec des inconnus
  • Être trop formel avec des habitués
  • Placer le client selon les contraintes du restaurant plutôt que ses préférences

Sur la base de ces points clés, l'équipe peut développer et tester une séquence d'accueil :

  • Sourire sincère (avec les yeux)
  • Salut adapté
  • Combien serez-vous ?
  • Particulièrement pressés ?
  • Une place de préférence pour vous asseoir ?

De tels standards sont faciles à mémoriser et permettent au serveur de savoir qu'il est dans une situation normale ou anormale tout en lui laissant une grande latitude sur la façon de gérer diverses situations. Et devant une situation anormale, c’est le moment de réfléchir aux particularités du contexte précis.

Une fois les premiers standards réalisés, la tentation est grande de commencer à vouloir en faire pour tout. Les aspects négatifs de la bureaucratie ne sont jamais très loin, aussi il y a quatre pièges à garder en tête.

Un premier piège consiste à capturer des éléments qui ne contribuent pas au succès final. Par exemple indiquer dans le standard qu'il faut placer les clients près des fenêtres est peut-être pertinent dans la majorité des cas, mais cela amènerait les serveurs à perdre la sensibilité du contexte. Quelle est l'envie de ce client particulier ? Fait-il froid à cet endroit aujourd'hui ? Y a-t-il des clients bruyants à la table à côté ? En précisant la finalité (le client content de sa place) plutôt que le moyen (près de la fenêtre), on laisse le serveur réfléchir à la meilleure façon de s'y prendre au cas par cas.

Un second piège consiste à créer des documents pour tout. Cela conduit à des référentiels touffus, qui finissent par être ignorés et ne plus être mis à jour. Puisque l'objectif du standard est de différencier le normal de l'anormal, il est possible de faire preuve de créativité pour trouver des formats concis et pratiques, intégrés à l'environnement de travail. L’exemple suivant illustre une façon de présenter de manière intuitive les éléments OK / NOK pour franchir la sécurité d’un aéroport :

Un troisième piège consiste à forcer l’utilisation du standard indépendamment du contexte. L'accueil du déjeuner n'obéit pas aux mêmes contraintes que celui du dîner. Ce qui fonctionne pour une serveuse ne fonctionne peut-être pas pour une autre. Les besoins d'un débutant sont différents de ceux d'un expert. L'objectif n'est pas de forcer tout le monde à faire la même chose tout le temps, c'est d'aider chaque collaborateur à réussir à son poste. Et comme les contextes et le savoir changent en permanence, le travail de définition et d'amélioration des standards est l'affaire de tous, tout le temps.

Enfin un quatrième piège classique consiste à piloter le respect des standards sans piloter la performance associée. C’est un sujet à deux facettes. D’un côté, suivre le respect des standards permet de s’intéresser aux difficultés rencontrées par les collaborateurs. De l’autre, la tentation est forte de trouver des moyens de forcer le suivi des règles plutôt que de viser l'obtention des résultats, avec les dérives évoquées plus haut. Comment s’assurer que les standards sont suivis de la bonne façon ? En réalité les standards ne fonctionnent qu'au sein d'un système global, qui est celui du TPS. Du point de vue du collaborateur :

  • J'utilise le standard lorsqu'il m'aide à délivrer un travail de qualité, conforme aux attentes du client.
  • J'utilise le standard lorsqu'il m'aide à tenir le rythme qui m'est donné par le kanban.
  • J'utilise le standard si je sais que je peux obtenir de l'aide lorsque je suis en situation anormale et que je me sollicite mes managers.
  • J'utilise le standard lorsque je sais que mes managers m'aident à résoudre les problèmes qui m'empêchent de rester dans une situation normale.
  • etc.

4. Une autre façon d'industrialiser

Toyota a démontré qu'il existait un modèle d'industrialisation différent de celui dépeint par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes. Plutôt que d’enfermer les collaborateurs dans des séquences figées qui conduisent à des aberrations telles que celles vécues chez l’opérateur télécom, il s’agit d’engager la réflexion de chacun, dans chaque contexte spécifique. Et cela commence par être très clairs sur ce qui constitue une situation anormale.

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